inversons les rôles (partie 6)
"Si on écoutait les opposants à l'avortement, on tricoterait des brassières aux spermatozoïdes". Guy Bedos
Je me réveille, il est déjà 13h. Nous sommes un lundi. Je me dirige vers la cuisine afin de me préparer un thé à la menthe et avaler quelques gâteaux que j'ai pour habitude de préparer amoureusement. Je m'appelle Hassana et j'ai 25 ans. Je vis sur Paris depuis deux ans désormais et je suis chauffeur Herbert. Ce n'était vraiment pas une vocation, mais disons que, pour le moment, je n'ai pas vraiment le choix.
Avant de venir en France, j'étais étudiante en médecine, et j'allais presque entrer en internat afin de commencer à mettre en pratique tout ce que j'avais appris en théorie en cours à la faculté de médecine de Rabbat. C'est le royaume du Maroc qui m'a vu naitre il y a de cela quelques 26 printemps. Je serais bien restée dans ce pays que j'aime si seulement j'avais eu le choix...
Le choix de ne pas me marier, en tout cas pas avec l'homme que l'on m'avait attribué, auquel on m'a marié sans même me demander mon avis. J'ai perdu ma mère à l'âge de 19 ans, car mon père, pourtant prospère dans ses affaires, a refusé de payer les soins pour son cancer du sein. Et point de sécurité sociale au pays de Mohamed VI! Il avait décrété que c'était trop cher, surtout pour une femme de plus de 40 ans qui perdrait un sein dans la bataille, donc sa féminité. Pourquoi s'ennuyer à payer des dizaines de milliers d'euros, tandis qu'il suffisait de la laisser mourir, de faire semblant de la pleurer un peu, puis de reprendre pour épouse une autre femme de 25 ans?
Ma marâtre était à peine plus âgée que moi lorsqu'elle a intégré le foyer familial et elle ,n'a pas tardé à donner un fils à mon père, ce que ma mère n'avait jamais eu l'occasion de faire. Elle a donc ensuite eu tout loisir de prendre son rôle de princesse, et de pouvoir donner ses ordres. Malheureusement pour moi, je ne faisais pas partie de son projet, représentant à ses yeux le seul reste de ce qu'avait représenté ma mère au domicile conjugal. Donc il fallait se débarrasser des mauvais souvenirs. C'est pourquoi elle m'a trouvé un oncle à elle de la soixantaine qui était d'accord pour m'épouser.
Il assura à ma belle-mère qu'il ferait de moi une bonne épouse et qu'il arriverait à me "dresser" si j'étais encline à la rébellion. Quand on m'a annoncé mes fiançailles, j'ai passé des nuits à pleurer mais je ne savais que faire, n'ayant pas encore de revenues et nulle part où aller. Cette chienne avait vraiment calculé son coup, et elle tenait mon père avec ce fils qu'il vénérait.
Je me suis donc laissée imposer cette union, pensant au moins que mon promis aurait quelques douceurs envers moi, mais aussi de la compréhension vis-à-vis de mes études médicales, le plus grand projet de ma vie. Lors des célébrations, il m'annonça qu'il était hors de question que sa femme fréquente une université remplie d'hommes, qui plus est jeunes, qui n'avaient sans doute de cesse de me convoiter. Son épouse ne serait pas une prostituée! Et il avait payé cher pour m'avoir! Si ça, ce n'est pas un paradoxe, je me demande ce qui en est un.
Puis, ce que je redoutais, la nuit de noce, arriva. On m'envoya dans la suite qu'il avait loué dans un grand hôtel de la ville, où je devais l'attendre en chemise de nuit blanche. Oh, j'étais encore vierge, ce n'est pas ça qui me faisait peur. Et j'était suffisamment instruite pour savoir ce qu'était un rapport sexuel, je vous rappelle que j'ai étudié le corps humain et l'anatomie pendant six ans. Mais je ne voulais pas de lui, pas comme ça!
Il arriva dans la chambre très éméché, il alla dans la salle de bain pour passer sa tenue de nuit, puis revint. Je n'eu pas droit à un regard, pas une tendresse, rien! Il me demanda de venir à lui, et face à mon refus, il me gifla vivement. Rien que d'y penser, je sens encore le feu sur ma joue.
Puis, il m'a maintenu afin de me prendre. Voilà comment s'est soldée la nuit de noce, voilà comment a démarré ma vie sexuelle: par un viol! Oh, j'ai bien été voir mon père pour me plaindre du comportement de mon époux, mais il m'a dit que c'était son droit, qu'il pouvait faire ce qu'il voulait de moi, tant qu'il subvenait à mes besoins, et qu'il ne me tuait pas.
Depuis mes épousailles, mon géniteur, que je refuse désormais d'appeler mon père, n'ose plus me regarder en face, car il sait qu'il a fait de ma vie un malheur, mais je sais aussi qu'il est sous l'influence de sa sorcière de femme!
Au bout de quelques jours de ce régime, j'ai contacté ma cousine Zohra, qui est née et a grandi en France, et que j'avais pour habitude voir à chaque vacances d'été. Je mesure maintenant la chance qu'elle a de vivre dans les pays des Droits de l'Homme, avec un H majuscule, donc aussi ceux de la femme.
Et c'est grâce à elle si je suis sortie des griffes de mon mari, c'est grâce à elle que je suis ici, même si ma vie n'est pas encore idéale. C'est elle qui a payé le voyage en autocar de Rabbat jusqu'au Cap Spartel, elle aussi qui a donné l'argent au passeur, qu'elle avait trouvé grâce aux réseaux sociaux. Oh, traverser le Détroit de Gibraltar jusqu' à Cadix en zodiac et de nuit n'a pas été une sinécure. J'ai vomis tout le long de la traversée, beaucoup trop d'ailleurs... Et c'est elle encore qui a organisé mon voyage en Bla Bla Car de l'Espagne jusqu'à Paris.
Et c'est grâce à Zohra aussi que j'ai pu... Je n'ai pas les mots pour dire ce que j'ai fait. Quand je suis arrivée en France, j'ai rapidement constaté que j'avais un retard de règles, que j'ai mis pendant quelques jours sur le compte de la perturbation du voyage. Tu parles! Après un test de grossesse, j'étais belle et bien enceinte!
Je me suis alors effondrée, expliquant à ma cousine que j'allais être une charge pour elle, que j'en étais désolée, et que j'étais horrifiée à l'idée de garder un enfant résultant d'un viol. Elle m'a répondu que ce n'était pas dramatique, enfin si, mon viol l'était, mais pas le fait que je sois enceinte, elle pouvait très bien m'amener faire une IVG. Quoi? Elle connaissait aussi des gens pour cela?
Oui, en France, ils appellent cela le Planning Familial, et c'est parfaitement légal depuis la loi de 1974. Chose encore plus étonnante, je n'avais rien à débourser pour cela. J'ai donc pris rendez-vous dans cette structure ou j'ai expliqué ma situation. Les soignants qui s'y trouvaient ne m'ont en aucun cas jugé, bien au contraire, ils m'on rassuré et m'ont expliqué que tout ce qu'on apprenait à la fac de médecine à Rabbat sur le sujet était totalement erroné. Non, cela ne rendait pas stérile, il suffisait d'attendre quelques cycles, et on pouvait même refaire un enfant si on le souhaitait. Non, je ne risquais en aucun cas d'en mourir. Non, je n'allais pas souffrir le martyr et au pire, on vous délivre des anti-douleurs pour cela.
J'ai avalé deux cachets à 24h d'intervalles, j'ai saigné un peu plus abondamment que pendant mes menstruations, et... Et? Et c'est tout! J'ai eu ensuite droit à un contrôle de routine afin de voir s'il ne restait pas de résidus, et tout allait bien.
Aujourd'hui, en France, les femmes peuvent décider ou non d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse sans que personne ne puisse le décider à leurs places. Je trouve ce droit magnifique, pour toutes les femmes violées, pour toutes les femmes qui ont des difficultés, pour toutes les femmes... qui ne veulent pas un enfant à l'instant T, tout simplement.
Oh, bien entendu, même dans le pays des Lumières, il existe parfois des personnes pour vous dire que c'est un crime, un meurtre, mais on les fait bien vite taire, et c'est tout. Il y a quelques temps de cela, le Gouvernement a aussi fait passer le délai de 12 à 14 semaines d'aménorrhées. Au début, j'ai pensé que c'était une bonne chose, mais je me suis vite ravisée, car ce n'est qu'une pirouette pour palier aux déserts médicaux afin d'éviter d'ouvrir des unités suffisantes en orthogénie.
Suite à cela, il était hors de question que je dépende financièrement de ma cousine, je voulais aussi contribuer au loyer et aux courses, surtout que je sais comment cette dernière gagne sa pitance. Au début, j'avoue que cela m'a un peu choqué, mais finalement, pourquoi pas? Je me dis que j'aurais eu du mal à faire de même, car ayant subi des viols de la part de celui que je considère désormais comme mon bourreau, je ne me suis pas encore réconciliée avec mon corps, ni avec ma féminité.
Mais le métier de Zohra ne me pose plus de problèmes, nous en plaisantons d'ailleurs ensemble. Je m'attendais à la voir partir vêtue de manière vulgaire et indécente, mais ce n'est pas du tout le cas, contrairement à ce qu'on m'avait dit dans mon pays concernant les prostituées. Elle se prépare plutôt comme une jeune femme qui irait au restaurant, à savoir tailleurs ou robes, talons, maquillage discret... je trouve le tout au contraire très chic!
Et moi? Et bien un voisin de ma cousine étant chauffeur Herbert, il s'est proposé de me prêter sa carte de VTC pour que je puisse conduire avec son macaron, les contrôles n'étant que très rares. Au début, il m'a aussi prêté son véhicule, puis j'ai pu acheter ma propre voiture, un SUV Toyota, dont je suis très fière. J'ai aussi téléchargé l'application, et ils ne sont pas très regardant chez Herbert, tant que l'argent rentre...
Le voisin en question, c'est Jeremy. Ah, Jeremy... Quand j'ai commencé à le croiser, je pensais encore que tous les hommes étaient des pourritures et des violeurs en puissance, mais ce n'est pas le cas! Nous avons rapidement commencé à flirter en nous envoyant continuellement des vannes et des blagues sur Whatsapp. Puis, il m'a invité un jour à déjeuner, m'expliquant qu'il me voyait un peu plus que comme une simple amie. Je lui ai alors tout raconté. J'ai lu dans son regard, non pas du mépris et du dégout comme je m'y attendais, mais de la peine et de la compassion pour moi, mais aussi de la haine envers mon tortionnaire. Et?
Et bien depuis, je le considère comme mon petit ami, même si nous n'avons pas encore franchi le cap de... Enfin, vous voyez! Il m'a dit "Ton corps, ton choix", donc il attend que je me sente prête, nous y allons progressivement, mais je sens que ça ne saurait tarder.
Pour ce qui est de mon statut de sans papiers, ma cousine Zohra m'a présenté à une avocate qui est en train de traiter ma situation, et je vais sans doute pouvoir obtenir un permis de séjour. Cela me rend très enthousiaste, car je pourrais ainsi m'inscrire dans une université de médecine française et pourrais commencer mon internat, le fameux sésame pour devenir praticienne, toubib quoi.
Je sors de ma longue rêverie quand j'aperçois sur la télévision allumée Gérard Depardieu. Le débat le concernant me met hors de moi. J'ai déjà du mal à encaisser les agressions sexuelles quand elles concernent des femmes adultes, alors comment peut-on le laisser sexualiser des petites filles de 10 ans sans que personne n'y trouve quoi que ce soit à y redire?
Vers 16h30, je reçois un coup de fil de Zohra. Tiens, ce n'est pas habituel, car elle a la malchance d'avoir un patron, Monsieur Tarba, qui n'est pas des plus commodes. Quoi??? C'est la petite Julie!!! Oh non, elle s'est faite agresser sexuellement par le mec qu'elle a rencontré sur Tinder! Mais ce n'est pas possible, c'est tellement horrible! La pauvre, depuis qu'elle a perdu ses parents, elle n'est déjà pas bien du tout, il fallait qu'il lui arrive un drame pareil en prime!
Ma cousine me demande d'aller la chercher pour l'accompagner en voiture au commissariat, puis à l'hôpital. Bien entendu! Je fonce jusqu'à l'hôtel du VIème arrondissement que m'a indiqué Zohra, je monte dans la chambre et je trouve une Julie à moitié déshabillée, les bas en accordéon, et... Mais c'est quoi ce sang qui tâche l'arrière de sa robe?
Je la conduit à l'hôtel de police, où j'attendrais dans la voiture, car j'ai toujours un peu peur que l'on me demande une pièce d'identité. Je laisse ma passagère rentrer dans le bâtiment, et je m'en veux, car elle est totalement hagarde, dans un état de stupéfaction, tout en souffrant terriblement physiquement. J'ai une idée de ce qui a pu se passer, ayant eu à subir la même chose, mais ma pudeur m'empêche de lui demander le moindre détail.
Je la conduis ensuite à l'hôpital une fois sa déposition faite, et là, j'entre avec elle pour l'examen et les soins. J'entend que le gynécologue de garde confirme ce que je craignais. Elle souffre de graves déchirures, mais la souffrance psychologique est encore bien plus grave. Le médecin en face est pourtant rassurant, plein de compassion, de compréhension. Ca fait du bien de tomber sur ce genre de gars, surtout dans une telle situation.
Je vais ensuite dans une officine afin de prendre la prescription qui été faite à Julie, à savoir des benzodiazépines, des somnifères, des antibiotiques à large spectre pour éviter les IST et un traitement post exposition pour se prémunir contre le HIV.
Julie pleure désormais énormément dans ma voiture, mais, même si j'ai vécu la même chose, je n'ai pas les mots. Car les mots peuvent penser les maux, mais aussi les aggraver, donc je choisis de garder le silence, par respect pour sa douleur. Je me contente juste d'un "Ce n'est pas de ta faute, je suis là, je te comprend et je te crois".
Nous arrivons à Versailles, au domicile de Julie, et dans d'autres circonstances, je me serais sans doute extasiée devant un si bel intérieur. Je vais à la cuisine pour lui préparer un thé plein de sucre, le chaud et le glucose réconfortent toujours, du moins un peu...
Je culpabilise de devoir la quitter, car je dois absolument commencer mes courses, mais elle m'assure que Christelle, qui est d'ailleurs notre voisine, viendra après son service pour dormir avec elle. C'est d'ailleurs cette dernière qui a présenté Julie et Zohra, ainsi qu'à moi par la même occasion.
Ca va, nous sommes un lundi et il n'y aura pas trop de gens éméchés, c'est bien pour cette raison que je n'exerce plus le samedi soir. Trop de mecs bourrés qui, quand il voient une gonzesse, pensent que je suis fournie avec la course. Face à mon refus, il y en a même un qui a tenté de m'étrangler depuis la banquette arrière. Quand il s'est pris un coup de taser, que je garde toujours à proximité, il a moins rigolé. Il était tout simplement tétanisé, et j'en ai profité pour le descendre du véhicule et en lui mettant quelques coups de pied dans les côtes. Quelques hématomes lui passeraient l'envie de recommencer.
Vers les coups de minuit, je reçois une course pour le bar chez Jean-Louis jusque dans le XIVème. Tiens, c'est justement là que bosse Christelle. Je charge un gars grassouillet et bien beurré. Mais qu'est-ce que je déteste ces hommes qui ressentent le besoin de boire comme des trous!
Il me fait une remarque, me disant que je suis charmante et qu'il apprécie beaucoup les maghrébines au lit. J'allume mon taser et envoie une étincelle dans le vide. "Ca te dit de faire des étincelles avec ta bite?". C'est peu ou prou la réplique que j'ai vu dans un film avec Marie Laforêt et Jean Paul Belmondo et qui m'a bien faite rire! Le gras du bide se décide à se taire et je le dépose à son domicile. Il me mettra sans doute une étoile demain en se réveillant, arguant que le service se perd. Pas grave, comme si cela changeait quelque chose à notre charge de travail et à notre chiffre d'affaire!
Allez, c'est bon pour ce soir, je crois que j'en ai assez entendu. Je me décide à rentrer, et je trouve ma cousine endormie. Son boss l'a faite cravacher jusqu'à pas d'heure, tout en sachant pertinemment qu'elle n'est que stagiaire et qu'elle est payée à la fronde chez Phonetel.
Ce soir, je suis particulièrement déprimée en rapport des événements qu'a subi Julie, mais aussi de la réflexion que j'ai ramassé lors de ma dernière course. Je mange la salade composée faite par ma cousine, puis je me met au lit, en lisant sur mon téléphone le blog d'une consœur de Zohra, Chlotilde Rastignac. Si elle devait parler de tous ces sales gars qui nous blessent et nous salissent, les appelleraient-elle des connards ordinaires?
A SUIVRE...
Contact: chlotilderastignac91@gmail.com
Malheureusement ça n'existe que trop encore et encore. Mais il faut en parler, ce que vous faites avec talent.
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