Inversons les rôles (partie 5)


" Tous ces siècles, les femmes ont servi de miroir, dotés du pouvoir magique et délicieux de refléter la figure de l'homme en doublant ses dimensions naturelles". Virginia Woolf. 

Je me réveille à midi, nous sommes un lundi. Je me dirige vers la cuisine de mon 2 pièces pour aller m'avaler un café et un fromage blanc. Je m'appelle Christelle et j'ai 32 ans. Je vis sur Paris et je suis barmaid au bar after work chez Jean-Louis. Oh, ce n'est pas une vocation que ce métier, mais disons que je n'ai pas eu le choix. 

De base, je suis graphiste en free-lance. Enfin j'étais... Il y a deux ans de cela, tandis que je fréquentais un gars, Kevin, et que ce petit con est venu s'incruster chez moi, il m'est arrivé une drôle de tuile. Je ne savais pas qu'il était dealer, et à la suite d'une perquisition des flics où ils ont découvert une bonne quantité de beuh chez moi, j'ai pris un contrôle judiciaire et un aménagement de peine dans la gueule. Le JAP (juge d'application des peines) n'a rien voulu savoir, n'y comprenant rien à mon statut d'auto-entrepreneur, et a exigé que je trouve un CDI, sinon... Ben sinon, c'était la taule! 

Je n'ai pas retrouvé de boulot dans ma branche; il faut dire que je me suis un peu grillée le  jour où j'ai claqué la porte en menaçant de mort mon ancien employeur, avant que je sois indépendante. Cette ordure, non content de me payer 25% de moins que mes collègues masculins, m'a un jour envoyé une main au cul! Et comme le milieu de l'informatique est particulièrement machiste... Je me suis mise à mon compte, et ça m'allait très bien! Jusqu'à ce que Kevin vienne massacrer ma vie! Mais bon, grâce à lui, j'ai quand même rencontré la petite Julie, une versaillaise, de parents qui étaient bien blindax, mais tellement cool! 

J'ai encore fini à 3h du matin hier soir, ce qui m'oblige bien souvent à rentrer en Herbert. De toute manière, je ne m'amuse plus à prendre les transports en commun dès que la nuit tombe, et ce, depuis qu'un mec s'est branlé sur mon manteau. Je me suis aperçue en rentrant chez moi que j'avais du foutre sur mon vêtement! Hop, poubelle! Putain, c'était un Custo à 300 balles! Il faut croire que mon look de punkette en excite certains, mais ça m'a foutu un sacré coup de cafard quand même...

Donc, ouais, faire la femme tronc derrière un comptoir n'était pas une vocation de base, mais encore un an à tirer. C'est mieux que la taule, mais quand même bien relou. Très relou même, quand tu es une gonzesse, parce que j'en ai pris des sales réflexions par rapport à ma poitrine! Remarquez, je pense que c'est même un peu pour ça que Jean-Louis m'a embauché, parce qu'il n'est pas con et il sait très bien que ça fait consommer les clients. Après, ce n'est pas un chien, et il a même accepté de me prendre alors que je suis en liberté surveillée, ce qui n'est pas rien. Et il me dit toujours qu'avec mon caractère, il ne se fait pas de soucis pour moi afin que je me défende. Oui, mais c'est tout de même lourdingue à vivre au quotidien, même si le geste ne rejoint jamais la parole, et j'ai de bons pourboires, comme si certains gars voulaient s'octroyer le droit de me mater les miches contre un billet de 10.

Là où Jean-Louis a vraiment pris conscience de ce qu'était mon quotidien, c'est lorsqu'un vieux connard d'ancien militaire, genre ancien colonialiste s'est permis de me dire "au pied" afin que je le serve! Tous les potes du trou du cul était hilares, comme si tenter de faire prévaloir son autorité sur une gonzesse était signe de virilité! Putain, il s'est fait insulter, mais salement par mon boss! 

J'entend du rap dans l'appartement voisin, c'est sans doute Hassana qui se réveille aussi, elle bosse de nuit tout comme moi, et parfois, sans même avoir besoin de se consulter, nous poussons un peu le son, moi avec les Clashs ou les Sex Pistols, elle avec I am ou Ntm. Depuis que sa cousine Zohra l'héberge, elle arrive à revivre... Il faut dire que Zohra est une nana libre et rebelle, qui s'accroche et va prendre ce que la vie ne lui a pas donné, en faisant ses études, et en bouclant ses fins de mois en faisant la pute le soir. Ah, elle nous raconte de ces sacrés anecdotes à chaque fois qu'elle rentre de rendez-vous! Et, depuis que je les ai présenté à ma pote Julie, on forme une sacré bande de meufs, qui, de base n'avaient rien en commun, mais qui portent chacune à leur manière la force de lutter contre leurs malheurs et leurs tracas.

Je me prépare tranquillement, j'enfile un jean noir et mon t-shirt préféré "Punk is not dead", qui laisse apparaitre mon tatouage de dragon sur le biceps droit, et ma licorne sur le bras gauche. je les aime bien, moi mes tatouages, même si certains me jugent par rapport à ça. Non, je ne suis pas toxico, ni une voleuse, même si maintenant une repris de justice, mais je les avais bien avant! 

Je prend le métro pour me rendre au bar, avec mes écouteurs dans les oreilles. Au moins, si j'ai droit à des remarques salaces, je ne les entendrais pas. On dirait que les transports en commun sont le rendez-vous préféré des connards et des harceleurs, ils ne doivent avoir aucune utilité à les prendre, mais s'y rendent juste, histoire de se frotter sur une meuf, ou lui envoyer une main au derche! 

Il est 19h quand je prend le taf, je m'en grille une devant la porte, tandis que je vois arriver la "bande des trouducs". Je les ai surnommé ainsi, car ils viennent à cinq ou six en général, ont tous fait la même école de commerce, viennent sans leurs femmes, qu'ils ont bien pris soin de laisser à la maison, et se gonflent comme des coqs de basse-cour en énumérant par le menu tout ce que leur apporte matériellement leurs réussites socio-professionnelles. 

Tiens, celui qui s'appelle Rémy, le connard en chef, n'est pas avec eux ce soir. Tant mieux, c'est le pire! C'est à cause de lui que j'ai arrêté de foutre des décolletés au taf. Un jour, il avait carrément fait des paris sur mon tour de poitrine, et devant ma gueule en prime! Comme pour se dédouaner de ses conneries que j'avais entendu toute la soirée, il m'avait collé un billet de 100 euros sous le pif en fin de soirée. Comme si son argent pouvait tout acheter...

Je les entend parler alors que je sers les autres clients, et ça ne vole pas haut. Le grassouillet se réjouit d'avoir réussi à enculer une étudiante entre midi et deux qu'il avait rencontré sur Tinder. Un autre plaint "ce pauvre Remy" de s'être fait lourder par cette "salope d'Anaïs". Putain, ça vole haut les gars! En plus, il vont me faire finir tard, ces enflures, ils font la fermeture à chaque fois. Pour d'autres, je m'en fous, c'est le jeu, mais entendre leur brèves graveleuses de comptoir me file la migraine et de l'urticaire. 

Vers 21h, je m'accorde une seconde pause clope dans la réserve, et j'entend mon téléphone sonner, c'est Julie. Bizarre qu'elle m'appelle à cette heure-ci, car elle sait très bien que je charbonne, ce soit être urgent. Je décroche... Je l'entend pleurer à s'en fendre l'âme à l'appareil. Merde! Quoi? 

Putain de bordel de chiotte!!! Elle s'est faite violer par son plan Tinder!!! Il l'avait drogué, les analyses sont formelles. Et, en prime, elle a des déchirures anales, elle est totalement traumatisée, mais qui ne le serait pas après ça? 

Elle a appelé Zohra, et c'est Hassana qui s'est chargée de l'amener à l'hosto et à la maison Poulaga, mais elle va devoir aller travailler, donc Julie va se retrouver toute seule chez elle. Depuis que ses parents sont morts, elle n'a plus de famille, et d'ailleurs, en réfléchissant 5 secondes, c'est comme ça que son bourreau a vu en elle une victime potentielle, car ce genre de pervers s'acharne habituellement sur les femmes non pas faciles, mais fragiles. Ils arrivent à les dénicher, les renifler, pour mieux en faire des proies potentielles. 

Mais bien sûr que je vais venir après mon service! Ma bichette, elle me fait vraiment trop mal au cœur, j'en ai les larmes aux yeux, pourtant, je ne suis habituellement pas du genre sensible. Non, ma poulette, ce n'est pas la peine de m'envoyer un Herbert, j'en prendrais un avec mes pourliches, la "bande des trouducs" servira au moins à quelque chose pour une fois! Ok, laisse-moi les clés dans le pots de fleurs, comme d'hab'. 

Les "Mâles alpha", comme ils se surnomment eux-mêmes, en sont à leur septième ou huitième verres, et sont bien imbibés, il ne vaudrait mieux pas foutre une allumette au milieu. Savent-ils seulement que la version alpha,en informatique, est une version non aboutie? Ca leur va bien, remarquez, ils ne sont pas finis, ou alors à la pisse. Et puis, la théorie des males alpha date d'Hitler, comme si le mec était une référence d'intelligence quoi. En sus, c'est un comportement qui n'a été observé à l'époque que sur des loups en captivité, et qui a été remise bien des fois en question depuis. Mais bon courage si je devais leur expliquer ça, aux avinés! Autant tenter de leur parler de Socrate...

Les gros cons, se décident à appeler un Herbert. Encore heureux qu'ils ne prennent pas leurs caisses, il y aurait des morts, et pas forcément parmi les conducteurs d'ailleurs...

Je clôture ma caisse, et je demande à Jean-Louis de partir rapidos, lui expliquant que ma BFF s'est faite agresser, sans trop lui en dire non plus. Il est sympa, le patron, mais un peu old school et paumé quand il s'agit de ce genre de situations; pas le genre à violer non plus, mais juste à penser que "Et si elle l'avais un peu cherché?", mais aussi "Comment elle était habillée, ta pote?". Ces théories sont juste passéistes, mais c'est tellement fréquent que c'en est ordinaire. 

Je prend donc un Herbert à mon tour pour filer à Versailles, Julie dort déjà sous l'effet des somnifères que le toubib a du lui filer à la suite de sa consultation post viol. Dors, princesse, tu en as bien besoin. Elle me fait penser à une petite poupée qu'un enfant gâté aurait fracassé par terre après s'être lassé de jouer avec. 

Je vais prendre une douche et enfile le pyjama rose qu'elle a pris soin de laisser dans la salle de bain. C'est fou, elle a encore des gouts et des réflexes d'enfant, malgré sa thèse d'Histoire presque aboutie, son poste de chargée de travaux dirigés, et sa fortune colossale que lui ont légué ses parents. 

Je me glisse dans son immense plumard et ses draps en satin qui sentent bon la lessive de bonne qualité, elle gémit, comme dans une immense douleur, elle doit sans doute être en plein cauchemar et revivre la scène d'horreur qu'elle a encaissé il y a quelques heures à peine. 

J'attrape sa tablette que je déverrouille, puis je me plonge dans le blog de Chlotilde Rastignac, une meuf qui fait le même taf que Zohra; c'est grâce à cette dernière que j'ai connu ses articles. Si elle devait parler de la "bande des trouducs", mais aussi du violeur de Julie, les appellerait-elle les connards ordinaires?

A SUIVRE...













 

Commentaires

  1. Excellent texte chlo, comme d'habitude.
    Les personnages sont attachant et l'histoire tellement bien écrite
    Hâte de connaître la suite

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