Inversons les rôles (partie 3)
"Les différentes formes du féminisme reflètent autant de vie de femmes possibles" Camille Froidevaux-Metterie.
Ce matin, je me réveille à 7h, nous sommes un lundi. Ma cousine, qui est aussi ma colocataire depuis maintenant deux ans, dort encore. Je me dirige vers la cuisine de mon petit deux pièces pour me faire un thé. Je m'appelle Zohra, j'ai 25 ans, et je vis à Paris. Je suis étudiante en dernière année d'école de commerce, cursus marketing, mais aussi stagiaire en alternance chez Phonetel. Mon maitre de stage s'appelle Eric Tarba.
Je suis française, mais d'origine marocaine, comme on aime souvent me le rappeler. Mes parents sont d'honnêtes travailleurs, venus du bled alors qu'ils n'étaient encore que jeunes mariés, et ce, dans l'espoir d'avoir une vie meilleure. J'ai grandi dans une banlieue de la Grande couronne, Garges les Gonesses, donc trop loin pour me rendre chaque jour sur le lieu de mon stage, mais trop près pour avoir un logement du Crous.
Ma mère est infirmière et mon père a fondé sa propre entreprise dans le bâtiment, donc ce sont des gens qui touchent trop pour que j'ai droit à une bourse, mais pas assez pour pouvoir m'aider financièrement. C'est ce qu'on appelle l'hérésie à la française.
Ce matin, je suis particulièrement fatiguée, car je suis rentrée tard hier soir. Oh, ne croyez pas que je fais la fête, je suis bien trop studieuse pour cela, mais il faut bien que je m'arrondisse les fins de mois, car ce n'est pas avec les 900 euros par mois que me rapporte mon alternance que je vais pouvoir payer les 1200 euros de loyer de ma piaule!
J'ai été une bonne élève depuis le cours préparatoire, car j'ai vite compris que, pour s'en sortir dans la vie, il n'y aurait pas 36 solutions, à savoir, soit avoir une famille blindée, ce qui n'est pas mon cas, soit s'en sortir par soi-même. Et comme j'ai toujours eu le gout d'apprendre, disons que j'ai tout misé là-dessus. Enfin, pas tout, pour être exacte...
J'ai hérité d'au moins une chose de ma mère, c'est de son physique avantageux. J'ai une chevelure ondulée et lourde qui me permet de les avoir jusqu'à la taille, une taille fine et marquée, qui est en totale opposition avec mon fessier rebondi, et une poitrine qui, sans être opulente, est tout de même proéminente. J'ai aussi un visage juvénile et gracieux. En bref, je sais pertinemment que je ne laisse pas la gente masculine indifférente.
C'est vers l'âge de 13 ou 14 ans que j'en ai pris conscience, tandis que les gars de mon quartier ont commencé a changé de comportement à mon encontre. Oh, les meufs aussi, car elles m'ont bien vite jalousé, ces connes. Je n'ai jamais compris ce manque de solidarité entre nanas, surtout pour quelque chose qui ne m'intéressait pas, et qui, au contraire, me mettait en danger. Je suis fille unique, et je n'ai donc pas eu de grand frère pour me protéger, et je ne suis pas spécialement amatrice de la tournante dans une cave, donc voilà le cadeau! C'est bien pour cela que j'ai appris à montrer les dents très tôt, mais aussi à ne jamais me saper de manière ni sexy, ni voyante.
J'ai tout de même eu des parents assez cool malgré la pression de leurs origines, et ils n'ont jamais été du genre à contrôler si j'étais encore vierge, ou si j'avais un petit ami, ou même si je buvais un petit godet de temps en temps.
Mais franchement, avoir un gars ne m'intéresse pas, en tout cas pas pour le moment. Quand j'aurais un vrai boulot qui ne soit pas payé au lance-pierre, un bel appartement et une bonne situation, alors peut-être que je me mettrais à la recherche du futur père de mes enfants. Ouais, je veux des gosses, mais pas pour les voir grandir dans un quartier de merde. Oh, je n'en veux pas à mes parents, ils sont venus en France une main devant, une main derrière, et ils se sont bien défendus pour des immigrés. Mais je veux encore mieux qu'eux, et ils m'y encouragent, d'ailleurs!
J'arrive au boulot et j'avoue que j'ai toujours un peu la boule au ventre. Il faut dire que mon maitre de stage est un vrai sac à merde. Heureusement que Metoo est passé par là, car, sinon, je ne sais que trop bien que je ne serais pas à l'abri de me prendre une main au cul quand je dois lui apporter le café, ou de me faire coincer devant la photocopieuse pour me faire mettre à genoux et lui tailler une pipe! S'il ne croit pas que je ne vois pas ses regards plein de sous-entendus, ce tordu. Jamais patronyme n'a été aussi bien porté que par Monsieur Tarba!
Il arrive, frais comme un gardon, avec son air odieux et dédaigneux, me demandant le rapport que je dois lui remettre pour "ses" clients de 10h. T'inquiète ma poule, j'y ai passé mon dimanche après-midi, sur ton papier, et il est là, malgré mon salaire de misère. Même si tu ne te souviens jamais de mon prénom, même si tu as été obligé de m'accepter dans la boite pour que je joue à l'arabe de service, afin de prouver votre intégrité, tandis que vous étiez en attente de votre entrée en bourse. Ben ouais, ça fait bien devant les actionnaires, genre ici, on est inclusifs. Je ne suis juste qu'un quota à respecter. Femme et maghrébine quoi...
Il me regarde un peu de traviole, car je ne porte toujours pas de talons. Mec, j'ai été embauché pour mon cerveau, ou pour que tu te rinces l'œil sur mes guiboles? Porte une heure des escarpins de 12 centimètres, et tes pieds m'en diront des nouvelles, surtout pour cavaler toute la journée.
Oui, il m'arrive de porter des talons, mais certainement pas pour toucher 900 pelles par mois! Je me perche là-dessus, uniquement le soir, lorsque je deviens Kendra pour m'arrondir les fins de mois. Et oui, je suis escorte! Enfin, c'est un terme plus pompeux pour dire que je me prostitue via internet. J'en avais marre de galérer pour finir les mois, à quémander de l'argent à ma famille et mes amis afin de pouvoir compléter le loyer, mais aussi simplement pouvoir manger et casquer mon pass Navigo. Et c'est peut-être hallucinant, mais je suis plus respectée par mes clients que dans la boite où j'effectue mon stage! Pour autant, il me le faut, ce stage, car faire la pute est un moyen, certainement pas une fin.
C'est vrai que ce n'est pas drôle tous les jours de faire cette activité, non pas par rapport aux rencontres en elles-mêmes, mais par rapport au fait de répondre au téléphone et aux mails, puis aussi de la pression qu'on nous fout. Les clients, que l'on appelle aussi des punters, ont même un forum pour dénoncer ou encenser celles qui leur conviennent. C'est un peu le trip advisor du cul, mais avec parfois quelques dérives, car si vous refusez un gars, et qu'il en est membre, vous risquez de vous faire défoncer! Il y a même eu des dérives xénophobes que j'ai pu observer, mais j'ai vu il y a quelques temps le modérateur en remettre en place quelques uns, et j'avoue que ça m'a fait plaisir!
Là encore, je porte la double casquette d'être escorte et d'être maghrébine, ou beurettes, comme certains aiment nous appeler. Ils ne savent même pas d'où ce terme provient, et c'est Malek Oussekine qui doit bien se retourner dans sa tombe!
Je n'ai pas commencé par l'escorting, j'ai d'abord tenté ma chance sur un site appelé MYM où je vendais des vidéos érotico pornographiques. Mais c'était hyper chronophage, et en plus, les gars bien planqués derrière notre écran se permettent de nous demander des choses que je juge carrément odieuses et déviantes. Et puis... Il y a eu le drame. Un gars m'a reconnu, tandis que je ne savais pas qui il était, m'a sorti en message privé mon identité, et a menacé de le dire à ma famille si je n'avais pas de rapports gratuits avec lui.
Ca m'a mise très en colère, donc j'ai été déposer plainte, et j'ai d'ailleurs, grâce à ça, fait la connaissance d'une avocate hyper sympathique qui m'a accompagné dans ma démarche pénale. Le type a pris 6 mois de sursis, mais cela passera l'envie à ce sale chien de vouloir recommencer!
Et puis, j'en suis venue à faire la pute. De toute manière, avant même de le faire, j'étais déjà conditionnée, car à Garges, si tu te rends au planning familial, tu es une pute, tu mets des jeans, tu es une pute, tu bois un peu d'alcool, tu es une pute, et comble de tout, tu refuses de baiser avec un des grands du quartier, tu es une pute. Donc maintenant, ils peuvent m'appeler la reine des putes.
Il est midi, le fin de race sort de sa réunion, tout en se faisant mousser d'avoir obtenu son contrat juteux. Ca va, mon rapport leur a bien plu alors? Il part soi-disant déjeuner. Comme si toute la boite n'était pas au courant qu'il allait se faire pomper par une midinette quasiment chaque jour... Il me tue, ce type! Si sa pauvre femme savait!
Je profite moi aussi de ma pause déjeuner pour regarder les messages et mails que j'ai reçu afin de savoir si j'ai moyen d'obtenir un rendez-vous avec un client pour ce soir. Enfin, vu que le gros porc a décroché un contrat, je vais devoir commencer à préparer la suite. Il n'est capable de rien, je me demande comment il a réussi à obtenir ce poste, ce n'est pas possible!
Après son "repas", l'autre empaffé revient au siège, puis se dirige dans son bureau. Tant mieux, ile ne sera pas sur mon dos pour savoir si, quand et comment j'avance dans mon job, comme si j'avais déjà failli à ma mission d'ailleurs.
Vers 16h, mon amie Julie m'appelle plusieurs fois. habituellement, je ne répond pas durant mes horaires de travail, mais je vois qu'elle insiste. Julie, c'est une meuf bien. un peu paumée depuis qu'elle a perdu ses parents dans un accident de voiture, mais elle est tellement adorable! Avec la fortune qu'ils lui ont légué, c'est d'ailleurs elle qui s'est portée caution pour mon appartement. Elle est hyper cultivée, de bonne famille, et c'est le genre de nénette qui peut se permettre de faire un doctorat d'histoire, et finir comme enseignant chercheur. Car elle sait que, financièrement parlant, son avenir est assuré, quoi qu'elle fasse!
Mais elle est un peu perdue depuis qu'elle n'a plus de famille, et c'est bien pourquoi elle va à des rendez-vous Tinder, bien souvent avec des gars plus âgés. Ce n'est pas ça qui me choque, mais j'ai peur qu'un jour, elle tombe mal, et comme elle est hyper sensible en ce moment, elle pourrait servir de proie facile à un de ces putains de prédateurs!
Je finis par lui répondre. Elle est en larme! Oh merde! Je savais qu'un jour ça arriverait! Elle me raconte son rendez-vous Tinder de ce midi, et un mec l'a sodomisé sans son consentement. Mais merde, c'est du viol ça!!!!!
Non, écoute-moi bien, Julie: tu ne rentres pas chez toi là! Oui, je sais que tu te sens sale, et que tu n'as qu'une seule envie, c'est de te laver. Mais surtout pas, en fait. Tu vas aller chez les flics, car ce que ce gros enculé t'a fait s'appelle un viol, que tu le veuilles ou pas, et il faut aller déposer plainte!
Merde, je ne peux même pas demander à quitter mon poste, mais j'appelle ma cousine pour qu'elle prenne sa bagnole et qu'elle l'amène chez les flics, et je lui file au passage le numéro de l'avocate qui m'a défendu pour mon affaire de chantage. Appelle-la rapidement, elle saura mieux que moi ce qu'il faut faire.
Heureusement que ma cousine est là pour l'amener, car Julie a même du mal à marcher, tellement cette ordure s'est acharnée sur elle!
Je suis dégoutée de ce que la nature humaine est capable de faire. Et l'autre risque de me coller un abandon de poste si je demande quoi que ce soit. Là, je suis vraiment énervée contre lui, car j'aurais vraiment besoin de mon après-midi!
Vers 17h30, Monsieur Tarba vient me voir, et me dit qu'il a des rendez-vous extérieurs, mais que je dois tout lui rendre pour demain matin. Je ne m'en serais pas doutée, tiens... Pff, un des pires jours de ma vie, enfin, celui de mon amie, et je ne peux même pas l'accompagner au commissariat, ni à l'hôpital.
Je bosse jusqu'à 22h, Julie me donne de ses nouvelles au fur et à mesure, elle a suivi mes conseils et s'est rendue chez les poulets qui lui ont bien expliqué, tout comme moi, que ce qu'elle avait vécu était bel et bien un viol! Ensuite, elle a été conduite à l'hôpital, subissant un examen douloureux psychologiquement afin de relever les traces d'ADN de son tortionnaire. Ils ont aussi pris le numéro ON/OFF de cet animal, lui expliquant que c'était très facile de retrouver à qui appartient la ligne avec une réquisitions judiciaire. Mais les mecs se sentent bien souvent couverts avec ce genre de numéros que l'on peut changer à l'infini, et c'est bien pour ça, qu'en tant que pute, je ne les accepte jamais.
Je rentre chez moi et je suis fatiguée, autant physiquement et psychologiquement de ces gars qui se permettent tout et n'importe quoi, fatiguée aussi d'avoir le patron le plus con du monde.
Après ma douche et un repas frugal, je me met au lit avec un peu de musique, tout en lisant un blog que j'ai découvert il y a peu, et qui est celui d'une consœur, et qui tente parfois de se faire la voix de celles qui n'en ont pas, et qui s'appelle Chlotilde Rastignac. Tiens, je suis bien certaine que si elle connaissait mon patron, elle l'appellerait le connard ordinaire.
A SUIVRE...
Contact: chlotilderastignac91@gmail.com
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