Inversons les rôles (partie 2)






"Je suis devenue féministe, car j'ai vu des femmes refuser de se laisser traiter comme des paillassons". Leila Slimani


Ce matin, je me réveille à 6h30, nous sommes un lundi. Mon mari ronfle encore comme un goret dans le lit conjugal. Depuis qu'il a pris de l'embonpoint, c'est monnaie courante. Je me dirige vers la cuisine afin de préparer le petit-déjeuner de nos enfants, Luce et Paul. Je m'appelle Karine, j'ai 43 ans et je vis à Paris. Je suis clerc de notaire chez  Maitre Erita, épouse d'Eric Tarba. Il faut le préciser, car j'ai pris l'habitude depuis 15 ans de n'être que la "femme de". Tout était bien au début, je me suis mariée il y a 15 ans, sacrifiant mes ambitions personnelles au profit de celles de mon conjoint, quand il a fallu faire un choix, qui n'en était pas un, à qui irait en école de commerce après nos Master II respectifs, lui en droit des affaires, moi en droit patrimonial, et que je voulais intégrer une école notariale, mais qu'il a fallu que je me mette à bosser pour que quelqu'un fasse bouillir la marmite, tandis qu'il continuerait son cursus. Mais notre couple a réussi, comme on dit, d'un point de vue financier déjà, et nous sommes un couple parfait, en tout cas vu de l'extérieur...

Mon "cher et tendre" a toujours pensé que je ne nourrissais aucune ambition personnelle, hormis le souhait de faire un mariage réussi et de faire des enfants. Alors, certes, il me laisse travailler, mais sans doute parce qu'il serait trop radin pour m'offrir ne serait-ce que le coiffeur. Et puis, il aurait trop peur que je devienne oisive, bosser pour une femme, selon lui, n'est qu'un passe-temps comme un autre. 

J'entend monsieur se réveiller et il se sert son café, me fait un compliment au passage sur ma beauté physique. il faut dire que je vais beaucoup à la salle de sport, afin de ne pas m'engraisser comme lui, mais il a toujours pensé que c'était pour lui plaire que je le faisais, tandis que ce n'est que pour moi-même, et rester en bonne forme physique. Il n'a pas le verbe tendre envers mes amies qui ont moins de chance avec leurs génétiques, et qui ont pris du poids durant leurs grossesses. 

Je lui montre sans mot dire à quel point son comportement d'hier soir était déplacé, tandis qu'il s'est frotté contre moi avec son sexe dressé pour tenter d'avoir un rapport sexuel, m'arguant "qu'un homme a des besoins". Des besoins? Manger est un besoin, aller aux toilettes aussi, mais je n'ai jamais vu un homme mourir d'une explosion des testicules! Et mon sommeil est un besoin aussi, tandis que je m'occupe des tâches ménagères, des enfants, des repas et de toute la paperasse administrative de la maison! Mais j'oubliais son argument de choc, sa seigneurie travaille plus que moi. Ne crois pas que ça me passera...

Il se lève et me propose de faire tourner mon lave-vaiselle. "Mon" lave-vaisselle? Tu vis chez l'habitant? Il y a mon nom indiqué dessus? Tu prends tes repas dans des assiettes en carton? C'est un comble, mais ça fait quinze ans que ça dure et que je ne dis rien, pourquoi changer? 

Je monte me préparer pendant qu'il se vêtit de son côté, je prend ma Mini-Cooper, comme chaque jour pour déposer les enfants à l'école. Hors de question que je touche au 4X4 BMW de sa majesté, il aurait trop peur que je lui fasse une rayure, tandis qu'il a déjà explosé un Porsche Cayenne car il conduisait beurré. 

Au rond-point après l'appartement, un type me grille la priorité, quand je klaxonne pour le lui signaler, il descend de sa voiture, voyant que je suis une femme, et me menace de me casser la gueule. Aurait-il agi de même si j'avais été un homme? Je passe la première et préfère partir en accélérant plutôt que de devoir en découdre avec un être qui a environ 800 fois plus de testostérone que moi dans le sang, et la dysmorphie de genre à son avantage. 

Je dépose les enfants à l'école, et Maître Erita me convoque dans son bureau, me signifiant qu'avec la charge de travail que j'accomplis depuis des années chez lui, l'augmentation que j'ai demandé il y a dix jours va m'être accordée. Il est vrai que j'en traite du dossier, car je suis passionnée par le domaine juridique depuis toujours. Quand je ressors et retourne à mon poste, un collègue masculin qui passe son temps à se tourner les pouces, et qui a intercepté les échanges que j'ai eu avec mon patron, me demande si je me suis bien appliquée en passant sous le bureau. Pauvre con! Sais-tu seulement que ton employeur est gay? Mais je ne rétorque même pas, car je pense à mon rendez-vous de ce midi...

Ce midi, j'ai un rendez-vous galant. Depuis que j'ai découvert qu'Eric s'envoyait en l'air quasiment pendant toutes ses pauses déjeuners avec des gamines étudiantes, en leur faisant croire qu'il est divorcé, j'ai décidé simplement de mener ma propre barque. Cet abruti n'est même pas capable d'effacer son historique sur Google, et pense que je suis trop stupide pour savoir ce qu'est Tinder! 

Sauf que moi, je suis tombée amoureuse, et ce, d'une personne que je côtoyais depuis des années! Je rejoins donc mon petit secret à midi, comme convenu dans notre hôtel habituel. J'ai pris soin de mettre de la belle lingerie, je sais déjà que ce sera merveilleux comme d'habitude, même si nous ne pouvons encore nous dévoiler au grand jour. Eric n'a rien remarqué, même pas que, parfois, je revenais à la maison avec un nouveau bijou ou un parfum neuf. Ce n'est pas lui qui me ferait de tels cadeaux! Lui, pour mon anniversaire, m'offre toujours une nuisette ou de la lingerie qui, même si de belle facture, n'ont que pour but de le satisfaire une fois le soir venu. 

Je rejoins donc mon amour secret à l'heure médiane, nous parlons bien entendu de sujets passionnants, comme d'habitude, d'actualité, de politique, mais aussi de notre avenir commun dont nous rêvons depuis quelques temps déjà. Nous parlons aussi de nos dossiers respectifs en cours, des miens, même si les siens sont plus passionnants, car c'est une personne qui s'intéresse toujours à ce que je fais.

 Nous commandons un Uber eat et nous nous délections de sushis, nous rappelant alors la promesse que nous avons échangé de nous rendre au Japon, dès que notre amour pourra éclater au grand jour. Parce qu'en quinze ans d'union, je n'ai eu que droit à des vacances sur des transats, pour montrer sur les réseaux sociaux que nous avons les moyens, mais c'est toujours la même chose, au final, à savoir se dorer la pilule au bord d'une piscine en ingurgitant des litrons pour lui, pendant que je m'occupe de notre descendance, leur faisant faire leurs cahiers de vacances, et, quand j'en ai le temps, lisant quelques livres. mais jamais nous n'avons fait la moindre excursion afin de nous intéresser à la culture locale. Si seulement il m'avait demandé une fois mon avis!

Nous faisons ensuite l'amour, avec passion, avec tendresse, avec amour, ce que je n'avais jamais connu avant cette merveilleuse histoire. Il faut dire que j'ai connu mon époux en étant vierge, et que je n'ai jamais joui dans ses bras, car il ne m'a simplement jamais demandé ce qui me plairait, là aussi, même dans mon corps, mon avis ne compte pas. 

Je délaisse avec regret ce lit chaud qui a accueilli nos ébats, et je retourne à mon travail, où je souhaite consacrer mon après-midi à une histoire de succession qui s'avère pour le moins corsée. C'est une veuve qui a passé sa vie entière à s'occuper de sens enfants afin que son mari mène à bien ses ambitions politiques, et maintenant, ses fils veulent la laisser sur la paille, car ils estiment que les bien immobiliers leur reviennent de plein droit. 

Mon portable sonne, c'est le collège de Luce qui me contacte, il faut que je passe la chercher car elle fait un début d'otite. Je sais qu'elle n'est vraiment pas bien, mais ce n'est pas son oreille qui la fait souffrir, mais son psyché. Depuis qu'un petit con de sa classe lui fait des remarques salaces sur sa poitrine naissante, elle ne supporte plus son établissement scolaire. J'en ai parlé au principal, mais celui-ci n'en a eu cure, arguant que ce n'était que des chamailleries entre jeunes. Il faudra sans doute la change d'école, car ses résultats sont en baisse, tout ça pour un crétin qui a du recevoir une éducation des plus machistes par ses parents. 

J'appelle Eric pour savoir si sa grandeur ne peut pas, pour une fois, aller la chercher pour l'amener chez le docteur, mais il me rétorque qu'il est surchargé de boulot, avec ses nouveaux clients qui cherchent des offres pour ses salariés. Parfois, je me demande si sa boite vend des forfaits téléphoniques ou des missiles nucléaires! Ah ça, pour sauter des petites nanas, il a le temps, mais pour s'occuper de sa fille, il n'y a plus personne. La charge me revient de plein droit, mais il sait que je le ferais de toute manière, comptant sans vergogne sur ma fibre maternelle, et il n'a pas tort sur le sujet. 

Et je me prend encore dans les gencives que c'est grâce à lui si nous avons ce splendide appartement de 130 mètres carrés en plein cœur de Paris, et qu'il a des responsabilités, LUI! C'est vrai que je fais du macramé dans  mon boulot... De guerre lasse, je file la prendre pour la conduire chez notre médecin de famille... qui ne trouvera rien, comme d'habitude, et m'expliquera que c'est psychologique, comme d'habitude. C'est décidé, la semaine prochaine, tu changes de bahut, même si ça ne plait pas à ton père. S'en apercevra-t-il seulement? 

Je récupère Paul à la maternelle, qui est tout joyeux comme d'habitude, mais un peu agité, comme d'habitude aussi. il m'explique qu'il a une amoureuse, mais qu'il ne sait pas comment lui dire, et voudrait bien lui faire un bisou sur la joue. Je lui répond que c'est "tip-top", mais qu'il faut d'abord qu'il lui demande la permission avant de le lui faire. Il pourrait lui faire un joli dessin pour lui déclarer ses sentiments, et si elle lui accorde sa permission, alors, ok pour le bisou. Sinon, on ne fait pas une bise à une fille si elle ne le veut pas. Même si elle est super méga hyper jolie? Oui, même si!

Ce soir, je suis de bonne humeur, donc je dis aux gosses que ce sera pizza, ils en sont enchantés, et qui ne le serait pas devant une 4 fromage? Je ne commande rien pour Eric, car il a rendez-vous avec ses potes de l'école de commerce chez Jean-Louis, un bar de merde où ils se rendent juste parce que la barmaid a de gros nibards. 

Tiens, j'en parierais mon carré Hermes qu'ils vont encore plaindre "ce pauvre Remy qui s'est fait larguer comme une vieille chaussette", et "cette salope d'Anaïs qui l'a quitté pour le directeur de chez Atomics". Il faut dire que leurs discussions sont tellement enrichissantes, surtout quand ils sont pleins comme des barriques! 

Une fois mes petiots couchés, je me glisse sous un plaid au creux de mon sofa, afin de passer un dernier coup de fil à cette personne que je pense être le grand amour de ma vie. Au moins si Eric rentre, j'ai plus de chances de l'entendre que si je suis dans la chambre, et je pourrais vite raccrocher. A peine notre conversation terminée, j'entend la clé dans la porte, et je fais vite semblant de dormir, afin qu'il ne lui prenne pas l'envie de me faire passer à la casserole. Je me refuserais à lui, mais une conversation s'ensuivrait, et je n'ai vraiment pas envie de ça ce soir.

Il m'accompagne jusqu'à la chambre, où je me plains de ma fatigue, et comme d'habitude, il me répond que, lui aussi, il a une vie stressante et qu'il est surchargé de boulot. Tu parles, comme si on ne savait pas que tu refiles tout à ta stagiaire, pendant que tu files baiser dans des quatre étoiles!

Il redescend au salon, et je prend ma tablette sous le lit afin de m'adonner à ce qui est désormais mon rituel du soir. J'ai découvert un blog par le biais de ma relation cachée, c'est celui d'une escorte, et malgré cette activité qui me surprend beaucoup, elle n'écrit pas trop mal. Elle se fait appeler Chlotilde Rastignac, et je suis certaine qui si elle parlait de mon mari, elle l'appellerait le connard ordinaire. 

A SUIVRE...

Contact: chlotilderastignac91@gmail.com





 

Commentaires

  1. Top ; on dirait du vécu :) !

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    1. Si j'avais vécu avec un baltringue pareil, je pense qu'il ne serait plus de ce monde! C'est une fiction, purement et simplement, qui a pour but d'exprimer mes idées féministes. Et ce n'est que le second épisode sur... huit. Ces articles ne poursuivent pas le but d'une quelconque vengeance, mais d'une prise de conscience.

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    2. Assurément , je voulais dire que c'est très bien écrit et que je m'y transpose, bravo :)

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    3. J'ai accidentellement supprimé le commentaire de Patrick, si celui-ci veut bien le refaire... J'en suis sincèrement désolée, ce n'est pas de la censure, mais une mauvaise manipulation! Veuillez m'en excuser

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    4. Vous êtes toute excusée. Je ne suis pas très disponible en ce moment. Je rassemblerai mes idées pour vous en faire part à nouveau. Peut-être sur un prochain épisode, je suis en retard dans mes lectures !

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